LE MONDE
En annonçant le renforcement de son partenariat économique avec l'Inde, l'Union européenne entend non seulement tirer profit d'un marché émergent, qui devrait connaître une croissance, cette année, de 7,5 %, mais aussi d'une économie relativement épargnée par la crise financière qui secoue les Etats-Unis et le Vieux Continent. Le jour même de l'annonce de la faillite de la banque américaine Lehman Brothers, le 15 septembre, la Bourse de Bombay n'a enregistré qu'un repli de 3 %. Sur un marché financier réputé volatile, cette baisse est passée presque inaperçue. Les banques indiennes sortent presque indemnes de l'effondrement des institutions financières américaines. La perte la plus importante a été enregistrée par le premier établissement bancaire privé du pays. A la suite de la faillite de Lehman Brothers, ICICI Bank a perdu 83 millions de dollars (60 millions d'euros), soit 0,1 % de ses actifs.
Les entreprises informatiques sont davantage exposées à la crise. Leurs clients, majoritairement installés aux Etats-Unis, sont nombreux à appartenir au secteur financier. Ils représentent à eux seuls 42 % du chiffre d'affaires de Tata Consultancy Services, le plus grand groupe indien de services informatiques. Mais les difficultés que rencontrent ces clients étrangers pourraient les inciter à délocaliser encore plus leurs tâches informatiques en Inde. Dans un entretien accordé le 21 septembre au Monde, Azim Premji, patron de la société de services informatiques Wipro, se dit optimiste : "Les groupes internationalisés qui n'avaient pas recours à des sociétés indiennes pour externaliser leur informatique y pensent sérieusement. Car c'est en moyenne 25 % moins cher de le faire."
L'Inde, longtemps critiquée pour la rigidité et le protectionnisme de son secteur financier, a saisi l'occasion pour se défendre. Les mouvements de capitaux à court terme y sont interdits et la roupie indienne - au moins en ce qui concerne les mouvements de capitaux - n'est pas convertible. Kamal Nath, le ministre indien du commerce extérieur, n'hésite plus à vanter les mérites de ce système : "Ceux qui nous ont prêché les meilleures pratiques n'ont pas aidé leur propre secteur financier", avant de conclure : "Contrairement à l'Occident, notre système financier et notre économie ne sont pas sur deux orbites, nous n'avons pas à mettre en oeuvre leur convergence."
Prudent, le même ministre a toutefois reconnu que le retrait des investissements institutionnels étrangers pourrait avoir un impact sur l'économie indienne. Mais le secrétaire général de la Fédération indienne des chambres de commerce et d'industrie (FICCI), Dr Amit Mitra, se veut rassurant : "Entre 92 % et 93 % des capitaux proviennent de l'épargne intérieure."
Enfin, l'Inde est moins exposée à un ralentissement de la croissance mondiale que la Chine. La demande intérieure est à l'origine de 60 % de son produit national brut. Les deux moteurs de la croissance indienne, la demande intérieure et les investissements, la protègent d'une grave récession. Les plus optimistes parient même sur la crise financière comme une opportunité. "La crise financière va déboucher sur une récession qui entraînera une baisse de la demande. Il y a fort à parier que l'inflation diminuera", analyse Anjan Roy, conseiller économique du FICCI. Or, en Inde, l'inflation est devenue le véritable ennemi de la croissance. Elle a atteint 12,4 %, le 13 septembre. La baisse du cours des matières premières soulagerait l'industrie, autant que les consommateurs indiens.
Julien Bouissou